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mercredi 12 septembre 2012

LES PETITES HISTOIRES DE YEHNI N°22


Comment résister à une petite bouille angélique qui fond en larmes devant vous ? Comment ne pas prendre cet être fragile et effrayé qui sanglote devant le pas de votre porte, le serrer dans vos bras, le presser contre votre poitrine ? Comment ne pas compatir à la tristesse d’un enfant perdu, qui ne retrouve pas sa mère, quand vous-même vous n’avez pas d’enfants ? 

 En ouvrant sa porte Yéhi avait aperçu ce garçonnet d’environ cinq ou six ans, incapable de faire autre chose que pleurer. Entre deux hoquets elle avait compris qu’il avait perdu sa mère de vue et tentait désespérément de la retrouver en faisant du porte-à-porte. Prétextant une visite de courtoisie rapide dans les environs, elle lui avait demandé de l’attendre sur un vieux banc public. Elle n’était jamais revenue. 


Comment un cœur pierreux, peut-il ne pas se laisser fissurer devant la douleur de l’innocent? A plus forte raison le cœur moelleux, perméable, tendre de Yéhi qui ne demandait qu’à dorloter, cajoler, pouponner, materner. 

Hors de question de laisser le petit Paul, c’est ainsi qu’il disait s’appeler, continuer d’arpenter les rues de Faya à la recherche de sa mère, au risque de tomber sur un détraqué, un pédophile, ou un tueur. Les élections approchaient et son esprit fertile imaginait déjà le pauvre enfant gisant quelque part dans une mare de sang, des organes manquants. Elle s’en voudrait toute sa vie si un malheur lui arrivait, c’était certain. 

Yéhi fit entrer l’enfant dans sa demeure, une villa de quatre pièces où elle restait seule la plupart de l’année avec le gardien pour toute compagnie. Son époux, préfet dans une ville de l’Ouest de la Côte d’Ivoire était toujours absent. Son travail l’y obligeait. Elle, se sentant incapable de vivre une vie rurale, villageoise, refusait de s’y installer. Aussi confortable et peu coûteuse qu’est la vie là-bas, sa place est ici dans la grande ville. Elle est une citadine. 

 « Les préfets et sous-préfets ne touchent pratiquement pas à leur salaire. Les villageois leur font plein de cadeaux : poules, cabris, moutons. » 

C’était un argument récurrent dans les tentatives pour la convaincre de « s’exiler » en brousse. Le deuxième était le refrain du mari infidèle, saupoudré par le dicton « loin des yeux loin du cœur » 

« Un homme, même tenu en laisse par sa femme, sous sa surveillance 24h sur 24 trouve le moyen de la tromper. Tu t’imagines, quelqu’un qui est aussi loin? A ta place j’irai rejoindre mon mari. Non seulement cela ferait moins de frais, mais en plus, tu pourras t’occuper de lui…si tu vois ce que je veux dire. » 

Comment ne pas voir ce qu’elle disait avec son regard luisant de sous-entendu ? La conversation finissait toujours par arriver au nœud du problème, même si Yéhi ne l’avouait jamais. « Dans nos villages, on offre facilement des filles pour réchauffer le lit des étrangers. Fais attention ! En plus, vous n’avez pas encore d’enfant… » 

Yéhi n’avait pas d’enfant et ne voulait plus être frustrée. Les médecins disaient que tout allait bien chez elle, cependant, elle était fatiguée d’attendre. Petit à petit, l’acte sexuel était devenu pour elle un supplice, une source d’espoir qui n’aboutissait jamais. Au moins, loin de Henri, elle avait une excuse pour ne pas assumer ses devoirs conjugaux. C’était aussi une bonne explication de leur incapacité à avoir des enfants. Elle n’avait plus à vivre l’angoisse, puis la déception qui s’emparait d’elle chaque nouveau mois. Certes, elle se sentait seule, loin de lui. Mais, en vérité, lorsqu’il était proche et qu’elle ressentait la chaleur du corps d’Henri, étendu près d’elle, ce sentiment de solitude était toujours présent. 

Henri, heureux père de deux enfants avant leur mariage, ne comprenait pas sa frustration. Il n’avait plus rien à prouver au monde. Il avait passé avec succès l’épreuve de la fertilité. Il la rassurait sur son amour sans faille, minimisait la situation… Elle le trouvait tellement égoïste ! Alors qu’elle se débattait pour trouver une solution à son problème, il ne l’aidait pas et tentait par-dessus le marché de la décourager. 

« Les médecins ont dit que tout est normal en nous. Pourquoi chercher une solution quand il n’y a pas de problème ? Tu vas finir par t’en créer » 

Avec ses deux enfants, il pouvait se permettre de ne plus en avoir : pas elle. Elle n’avait rien. 

Yéhi lava donc le petit Paul, le bichonna, le cajola, le pouponna. Enfin, elle pouvait faire couler sur quelqu’un le trop plein d’amour qu’elle avait à donner. Henri était à des centaines de kilomètres. Il ne pouvait pas débouler à l’improviste pour lui reprocher de transformer sa maison en refuge. 

« Arrête de faire de notre maison un centre aéré pour les enfants du quartier. Les parents ne disent rien, mais si un accident survient un jour, tu auras de gros ennuis. » 

Elle lui servit un repas qu’il dévora littéralement. Elle eut pitié. Depuis combien d’heures avait-il commencé son périple ? Elle finit par l’installer dans une chambre d’ami. Yéhi le regarda dormir pendant un petit moment. Elle est née pour ça, être mère. Et si, au lieu de le conduire au commissariat pour une déclaration le lendemain, elle le gardait, l’adoptait? Sa vraie mère devait être une irresponsable pour laisser ainsi son enfant dans la rue. Quelle était cette visite qu’elle devait rendre qui nécessitait un abandon de sa progéniture ? Elle n’avait pas souffert pour l’avoir ? Elle n’avait pas connu les douleurs du travail ? La vie est tellement mal faite. Alors que certains recherchent désespérément quelque chose, d’autres l’ont et ne voient pas son importance. 

Pendant une semaine, Yéhi s’occupa du petit Paul. Pendant une semaine Yéhi se sentit mère. Elle ne pouvait se résoudre à le laisser partir. Non, elle ne pouvait pas. Sa conscience lui disait qu’elle agissait mal. Elle avait l’impression d’avoir kidnappé cet enfant. Mais son cœur lui disait qu’elle faisait le bon choix. Elle voulait parfois le conduire à Doraville, un espace de jeu pour enfants situés à la Riviera 2, l’emmener au Nice Cream manger des glaces… Mais elle avait peur que son petit bonheur s’achève. Et si quelqu’un le reconnaissait et lui arrachait l’enfant ? Mieux valait rester à la maison. 

Le matin du septième jour pourtant, quand Yéhi se leva, le lit du petit Paul était vide. Manquaient également à l’appel, sa télévision, ses deux ordinateurs portables, quelques bijoux et de l’argent liquide. Elle trouva le gardien bâillonné dans un coin et eu bien du mal à comprendre ce qui s’était passé jusqu’à ce titre à la page 12 du journal Soir infos : « Banditisme : ils utilisaient un enfant pour voler »


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