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jeudi 12 juillet 2012

LES PETITES HISTOIRES DE YEHNI N°20

LA FEMME BLESSÉE 

Elle a a tout préparé. La robe rouge bordeau en soie au décolleté sage, offert par son époux pour leur premier anniversaire de mariage. C’était quand l’amour était encore à son zénith, quand les regards restaient hameçonnés l’un à l’autre. Ils savaient tout l’un de l’autre. Les dits, les non-dits, les sous-entendus. C’était quand les pensées suffisaient pour qu’ils se comprennent, quand les mots étaient superflus face à la synchronisation de leurs esprits. Leurs deux cœurs battaient à l’unisson, au rythme endiablé de la passion innocente et pure, que les écueils de la vie n’ont pas encore profané.



Elle a aussi porté les chaussures noires, vernies, celles qu’elle avait le jour où il a obtenu sa première récompense : meilleur avocat du barreau d’Abidjan. La première d’une série de distinctions toutes plus prestigieuses les unes que les autres, le portant très haut, trop haut, trop loin, loin d’elle. 

Elle a préparé son repas favori, accompagné de deux bouteilles de champagne. Il adore ce nectar. Leur cave en est garnie. Des bijoux en or pur parent son cou gracieux, ses petites oreilles, ses poignets fins, ses doigts frêles et tremblants à l’approche de l'heure à laquelle il est censé rentrer. Il voulait lui parler ? Cela tombe bien, elle aussi. 

Elle a des apparats de roi se préparant pour son dernier voyage. Elle est une reine déchue, qui a perdu sa couronne au profit d’une courtisane qui a su trouver le chemin menant au cœur de son mari. Elle pensait qu’elle seule en avait la clé pourtant. L’argent a lézardé ce temple. Les disputes ont accentué les fissures. L’envahisseur n’a eu aucun mal à s’installer. 

Un soldat se prépare avant le combat. Son armure est sa féminité qu’elle tente de porter fièrement malgré les humiliations. C’est un espoir ultime de reconquérir l’être aimé qui lui échappe, lui glisse entre les doigts comme de l’eau dans un panier. 

Henri-Pierre entre. Il voit les chandelles, les deux bouteilles de champagne. Il la voit. Elle les voit. Les papiers relatifs au divorce dans une main, l’autre tenant fermement la taille de sa maîtresse. Il est froid, glacial. Elle doit signer. Leur histoire est finie. C’est l’affront de trop. Elle comprend que quinze années de souffrance et de sacrifice sont dans la poubelle des espoirs perdus. La femme blessée a plusieurs choix. Sharon refuse de se battre. Pourquoi vouloir recoller les morceaux ? 

Tout recommencer. Après des années à ne vivre que à travers son mari. Femme au foyer pour nourrir l’égo démesuré de son mari. Au placard, le diplôme d’institutrice, acquis mais jamais utilisé. Le prince charmant l’a cueillie à la sortie de l’école…Enfin, elle le pensait vraiment. Il en avait l’allure et les manières. Le loup dans la peau de l’agneau. L’argent a fait craquer les coutures du costume de l’usurpateur. 

Oui, elle a tout préparé : la réussite et l’échec de son entreprise. Où a-t-elle péché ? Un laisser-aller physique ? Le fait qu’elle ne rapportait aucun revenu ? Elle penche pour la deuxième option. L’argent, le nerf de la guerre, l’oxygène du mariage. 

Elle lui demande une seule faveur avant de signer. Un dernier repas ensemble, sans l’autre femme. Il enfonce des clous dans son cœur perforé. Il refuse que l’autre s’en aille. Elle s’entête, lui aussi. L’autre femme décide d’attendre dehors. Elle a donc un peu de bon sens, un peu de cœur. Il n’est pas content. Il ne concède qu’un dernier verre. 

« Tout ce que nous avons vécu ne représente rien à tes yeux ? » 
« Je ne regrette pas ce que nous avons vécu. Mais comprends que c’est toi qui ne représente plus rien à mes yeux. Je ne t’aime plus. » 

Passer le couteau au feu, la poignarder, retourner le couteau dans la plaie, encore et encore, il a réussi. Elle sourit. Elle sait qu’elle a perdu. Elle prend la bouteille. L’autre bouteille. Celle de l’échec. Ils boivent comme au jour de leur mariage, quand bras entremêlés, ils avaient consommé leur première coupe en tant que Monsieur et Madame Adjibaté. 

« Pour le meilleur et pour le pire. Jusqu’à ce que la mort vous sépare » a dit le prêtre. 

Ces paroles résonnent dans son esprit clairement, comme le bruit du verre brisé dans la chute de Henri-Pierre agonisant sur le sol. 

Oui, elle a  vraiment tout préparé. Si elle a profité du pire, supporté le meilleur, elle veut regarder la mort les yeux dans les yeux. Elle vide son verre d’un trait.

2 commentaires:

  1. TRISTE!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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  2. Je découvre maintenant ce blog et j'apprécie vraiment les nouvelles que j'y trouve. Elles sont écrites avec talent. Encore une fois bravo!

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