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jeudi 12 avril 2012

LES PETITES HISTOIRES DE YEHNI N°17

Inspirée d'une histoire vraie que l'on m'a envoyée ce matin, après mon article d'hier sur 11 Avril 2012: devoir d'honnêteté et de vérité.

1 AN DÉJÀ


"Éteignez-moi cette télévision ! ".


Ma soeur s'est précipitée pour éteindre l'appareil avant de disparaître dans le jardin. J'ai crié. Je n'aurais pas dû, mais c'est plus fort que moi. Je n'ai pas envie de voir leur version de l'histoire. Je préfère la mienne.
Je n'ai pas besoin de débats télévisés, de manifestations, pour me souvenir de ce que j'ai vécu pendant la crise post électorale. Il me suffit de fermer les yeux. Parfois je n'ai même pas besoin de le faire pour tout revivre, comme si c'était hier.



Pourquoi j'étais resté là ? J'avais bien du mal à mettre une réponse sur cette question. J'avais pourtant fait partir ma mère et mes petites soeurs dans la ville d'Ayamé que j'estimais plus sûre. Pourquoi Diable étais-je resté ?  Héroïsme? Stupidité ? J'avais sans doute mal jaugé la situation. J'avais accordé trop de crédit au pacifisme légendaire des ivoiriens. J'avais pensé qu'au moins un des deux belligérants allait capituler. Au contraire, la situation était allé de mal en pis.

Je vivais dans un quartier de Yopougon. Une grande partie des habitants avait fini par se réfugier dans une paroisse, même  les patriotes LMP les plus zélés. Ils avaient perdu leur verbe tout d'un coup. Le pouvoir avait changé de camp. La sauvagerie aussi. Le barbecue à l'être humain était très en vogue. Il fallait faire profil bas pour ne pas goûter à sa propre médecine. La mort était devenu un sujet tellement banal. Je me souviens de cet inconnu égaré. Il disait chercher la route qui mène au Plateau. Les temps étaient mauvais pour ceux qui ne connaissaient pas leur chemin. Toujours en vie, malgré les coups et les tirs à bout portant sur lui, il avait finalement été calciné, non loin de la paroisse qui nous servait d'abri à tous. Aujourd'hui, plus d'un an après, rien ne permet de savoir que là, un innocent a été immolé pour rien. 

Mon souvenir le plus intense est celui de mon départ de Yopougon. Je portais une chemise. En dessous, un T-Shirt " ADO SOLUTION" empestant la sueur, qu'un ami m'avait donné. J'avais un ordinateur truffé d'images d' ADO SOLUTION et un écran de veille avec la photo du "sauveur" ADO. Je fuyais avec un jeune cousin. Aux barrages improvisés des FRCI, nous avions peur. Notre crime ? Nous avions des noms de famille qu'on pouvait facilement assimiler à l'ethnie Bété. J'avais chaud, très chaud. Dans le convoi des fuyards de la zone, je suis  d'abord resté aux côtés de la mère d'un camarade d'enfance. Plutôt âgée et d'ethnie Baoulé, je me suis dit que grâce à l'alliance ethnico-politique au sein du Rhdp elle pouvait être épargnée. Moi aussi, certainement  si je restais à ses côtés.

Mais j'ai dû changer d'avis. Elle marchait très lentement. En plus, rien ne me garantissait qu'elle n'allait pas me renier. Dans un quartier aux airs de bidonville visiblement acquis à la cause d'ADO j'entendis : "Ceux qui passent là même, y a les LMP dedans. On va faire leur sauce". Ils allaient les brûler vifs.  

Très vite je me suis déboutonner pour qu'on entrevoie mon soutien farouche pour ADO avec ce T-shirt datant de la campagne. Nous sommes passés tranquillement. Un minicar est arrivé à point nommé et nous nous sommes installés à l'intérieur avec soulagement. J'ai reconnu parmi les passagers, une famille Bété de notre quartier conversant dans leur ethnie à haute et intelligible voix. Quelle inconscience ! Je me suis installé très loin d'eux.

À la sortie de  Yopougon, nous avons été arrêté par des FRCI en chemise pagne, pantalon treillis et des chaussures en plastique. J'avais remarqué dans notre convoi, un certain  Ali qui semblait connu de tous. Il saluait tout le monde et tout le monde lui répondait avec un large sourire. Les FRCI, les mécaniciens, les chauffeurs, les apprentis...Nous devions présenter notre carte nationale d'identité.  Des hommes, le torse nu,  avaient été déjà mis de côté. Ils négociaient pour leur vie parce qu'ils avaient eu le malheur d'être étudiant ou Bété.

Ali n'a même pas présenté sa pièce d'identité. Le FRCI qui s'occupait du contrôle lui a serré la main. Ils ont échangé en Malinké. Vint mon tour de présenter mes papiers. Sous le coup d'une improvisation qui m'a peut-être sauvée la vie, j'ai crié le nom d'Ali. Je lui ai fait un large sourire en lui disant de m'attendre le temps que son ami procède au contrôle. Il a regardé aussitôt Ali. Il ne fallait pas perdre le temps à l'ami d'un ami. Il m'a juste demandé mon nom. J'ai marmonné quelque chose avec une voix d'asthmatique chronique. J'ai réussi à faire passer mon cousin également.

 Une fois remonté dans le véhicule, Ali  m'a demandé : "Mon frère, c'est où on se connaît oh?" 
Je me suis alors pressé de l'embarrasser en feignant être offusqué qu'il ne me reconnaisse pas. Face à son insistance, j'ai sorti une réponse à 2 balles qui a convaincu: "Aah Ali... Toi aussi, ti mets honte sur moi. Je suis le frère sang de Aboulaye chauffeur là". 

Il s'est écrié: "ahaaan, pardon frère. Aboulaye va bien non? Et sa femme elle a accouché?" Encore une question chaude.
"Oui ça va inch allah. Je sais qu'il faisait tout pour la faire sortir, mais depuis là , son téléphone ne passe pas, donc yé sais pas. " 
"C'est vrai. Son numéro passe pas." a répondu Ali.

Nous avons roulé jusqu'à un autre point de contrôle à la cité Fermont. Là au moins, nous avons eu affaire à des FRCI lettrés qui se voulaient rassurants auprès de ceux qui avaient des noms à consonance Bété. J'ai présenté ma pièce. L'un d'entre eux l'a lue et m'a souhaité un bon voyage. J'ai pris un taxi compteur jusqu'à la gare de Bassam. Une fois là bas, j'ai pu gagner la zone d'Ayamé auprès de ma mère.

Non, je ne regarderai pas une commémoration unilatérale, un mémorial mutilé. Je ne perdrai pas une seule minute devant des reportages borgnes. J'y étais, j'ai vu, j'ai survécu, c'est l'essentiel.

4 commentaires:

  1. après avoir lu le bouquin "le sceau de l'ange" de Willy Mouele, je réalise que finalement toutes les histoires de guerre se ressemblent... pauvres humains que nous sommes...

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  2. je ne sais ps de quel bord politique tu es mais à la limite je m'en fous .
    merci de résister à tous ceux qui veulent nous faire adhérer à leur vérité , qu'ils soient RDR , FPI , PDCI et que sais-je encore .
    Nous on y était , on a vu et on a survécu.
    Nous n'oublierons jamais que ce qu'ils ont sémé c'est nous , population ivoirienne et étrangère vivant en côte d'ivoire qui avons récolté.
    Personne ne nous racontera à sa façon ce que nous avons vécu .
    Merci et bonne journée ma petite soeur.

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  3. LA COTE d'IVOIRE NOUVELLE,ne pas etre de la bonne ethnie,ne pas avoir soutenu le bon president et ne pas etre du meilleur parti politique est un ALLER-SIMPLE pour la MORT!bien triste et implacable réalite et drole de conception de la DEMOCRATIE dans un pays dit SOUVERAIN.Ne JAMAIS OCULTER l'implication directe de l'ARMEE FRANCAISE,des SOUTIENS EXTERIEURS et de l'ONUCI qui ont bénéficié de soutiens logistiques et matériels.Je pense que c'est une erreur monumentale de mettre tout le monde dans le meme sac.Le pouvoir est au peuple...pas à une ethnie,un homme ou un parti politique.C'est un témoignage édifiant et bouleversant.

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  4. Beau témoignage. Émouvant. Merci de l'avoir publié

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