Chez nous, la seule porte de survie
d’une maison d’édition c’est le livre scolaire. Or, ce marché est presque exclusivement détenu par les maisons d’édition des pays du Nord à
travers leur succursales ivoiriennes.
Serge Grah est un journaliste de culture qui travaille depuis bientôt 10 ans dans l’univers de l’édition en Côte d’Ivoire. Je suis actuellement chargé d’édition dans une maison d’édition de la place. Aidé d’un assistant, mon travail au quotidien consiste à coordonner le processus éditorial : la programmation annuelle des textes à éditer, le suivi éditorial (lecture, correction, mise en page, choix de l’illustration de la couverture, etc.) les relations avec les auteurs.
2- Peux-tu nous expliquer les différentes étapes par lesquelles passe un livre avant d’être édité ?
A la réception du manuscrit, nous le lisons et le faisons lire par le comité de lecture pour en évaluer sa qualité. Nous vérifions aussi qu’il n’enfreint pas aux droits de l’homme. Si le texte nous agrée, nous envoyons un courrier à l’auteur pour le lui signifier. Traditionnellement, c’est à la maison d’édition de supporter les frais d’édition de l’ouvrage pour lequel un pourcentage sur le prix de vente public de l’ouvrage est convenu avec l’auteur dans le cadre d’un contrat d’édition. Ce pourcentage lui sera versé sur les ventes effectivement réalisées de son ouvrage. Malheureusement, confrontés à des difficultés budgétaires qui ne sont rien d’autres que la conséquence de la mauvaise représentation que la majorité de la population se fait du livre, les éditeurs sont de plus en plus obligés de faire participer les auteurs aux frais d’édition de leurs œuvres. C’est ce qu’on appelle l’édition à participation d’auteur (quand l’auteur partage les frais avec l’éditeur) ou à compte d’auteur (quand il prend entièrement en charge l’édition de son livre). Cela dit, quelle que soit l’option choisie, un contrat va lier les deux parties. Ainsi, après que le contrat ait été signé par les parties, le travail proprement dit sur l’ouvrage commence. Mise en page, relecture, correction, etc. L’auteur est même invité à participer et à s’impliquer dans toutes les étapes de la réalisation de l’ouvrage. En ce qui me concerne, je demande toujours à nos auteurs de bien vérifier chaque étape de la réalisation de leur œuvre. A l’issue de tout cela, le BAT (Bon à tirer) est signé par l’auteur. On peut donc passer à la dernière étape qui est celle de la fabrication. Dès sa parution, l’ouvrage est mis en rayon dans toutes les librairies, sur toute l’étendue du territoire.
3- Qu’est-ce qui explique les longs délais d’attentes infligés aux écrivains ?
Ces délais sont liés à la quantité des manuscrits que nous recevons. Nous recevons environs 500 textes par ans. Or il faut à peu près deux mois pour traiter un manuscrit.
4-Quelles sont les défis que les jeunes maisons d’éditions doivent relever ?
Le principal défi est d’éditer des livres à la fois originaux et susceptibles de se vendre. Et puis, les petites maisons ont à cœur de soutenir de nouveaux talents littéraires. C'est loin d'être évident. Parce qu’il est difficile d'évaluer le potentiel commercial des nouveaux auteurs. Leur originalité est donc à la fois un atout et un handicap. Tout cela constitue les défis qui jonchent le quotidien des jeunes maisons d’édition. L’autre grand défi est le marché du livre scolaire. Chez nous, la seule porte de survie d’une maison d’édition c’est le livre scolaire. Or, ce marché est presqu’exclusivement détenu par les maisons d’édition des pays du Nord à travers leur succursales ivoiriennes.
5-Est-ce que la coédition ne peux pas être une solution pour réduire les charges des maisons d’éditions et donner plus de chance aux écrivains ?
La coédition est encore faible chez nous. Pourtant, ça pourrait être une excellente solution d’avenir. Elle pourrait apporter des réponses adaptées aux problèmes des éditeurs. Qu'est-ce qui empêche les éditeurs de monter des projets ensemble ? Etant donné que les avantages de la coédition sont évidents : produire des tirages plus importants et viser un marché plus vaste. Ils vont coordonner la promotion et développer des stratégies marketing communes. Et puis, les aspects commerciaux ne sont pas les seuls avantages de la coédition. L'échange d'idées et la collaboration des éditeurs ont une influence positive sur la qualité des ouvrages.
6- En cas de coédition, c’est l’auteur qui prend contact avec les différentes maisons d’éditions, ou bien ce sont ces dernières qui se chargent d’établir un accord ?
La coédition c’est entre deux maisons d’édition. Toutefois, l’auteur peut rapprocher des éditeurs dans le cadre d’un projet de coédition. Mais c’est à l’éditeur principal, celui qui reçoit le manuscrit, de rechercher un coéditeur.
7-Comment une action gouvernementale pourrait-elle redynamiser le secteur ?
En Côte d’Ivoire, le livre existe, les auteurs existent, les éditeurs existent, les imprimeurs existent, les lecteurs existent, la richesse existe, la pauvreté existe et l’argent aussi existe. Il y a donc de l’argent pour fabriquer les livres, les diffuser et les distribuer. Et, il y a aussi de l’argent pour les acheter. Mais le problème, c’est le manque de politique nationale du livre. Comment comprendre qu’il pas encore de loi sur le livre en Côte d’Ivoire. Et pourtant, le livre n’est pas un produit comme les autres ; c’est l’une des plus nobles créations de l’esprit et de l’imaginaire qui, en tant que telle, ne saurait être soumise à l’unique loi du marché. Le livre est un enjeu majeur de société comme la santé et la démocratie. L’Etat doit donc le protéger, créer les conditions qui permettent son accès de tous par la création, entre autres de bibliothèques publiques. C’est tout cela la politique du livre qui fait partie de la souveraineté d’un État. C’est un mouvement volontariste qui exige un axe législatif, financier et juridique, avec les accords internationaux. Sur ce dernier point, je fais allusion au protocole de Nairobi qui permet de détaxer les intrants du livre.
8-On dit que les ivoiriens n’aiment plus lire, quel est ton avis ?
On dit que « la meilleure façon de cacher quelque chose à un Noir est de la mettre dans un livre »… ça c’est pour ceux qui aiment les clichés. Cela dit, il faut reconnaître que statistiquement les Ivoiriens lisent peu. Cela tient à des raisons mille fois discutées : pouvoir d'achat, structure sociale et familiale, tradition orale, etc. Cependant, je crois qu’aujourd’hui, les actions en faveur de la lecture portent leurs fruits. Il y a une évolution positive en la matière, des efforts ont été entrepris par des associations spécialisées, notamment Point de lecture et ses « Cafés littéraires ». Même si à travers le niveau de langue, on peut déplorer l’impact négatif des nouvelles technologies de l’information sur les jeunes. Mais comme dit l’adage « il faut laisser le temps au temps ».
9-Des conseils aux jeunes écrivains pour mettre toute les chances de leur côté ?
Quand on écrit pour la première fois, on s'inspire de ce qu'on aime, des auteurs qu'on lit. C'est correct de le faire. Car on ne peut pas se lever et inventer des choses ex-nihilo. Mais il faut réussir à trouver son propre style et sa propre histoire à travers ces expériences. Il ne faut surtout pas penser qu’être « instruit » permet d’être écrivain, ou alors qu’il faut juste de l’inspiration pour écrire. L’inspiration est effectivement très importante, car il faudrait dire des choses nouvelles, des choses qui interpellent. Cependant, ça demande également une bonne culture générale et beaucoup de travail derrière. A la base de tout cela, il y a la lecture. Ensuite, il faut rendre son texte le plus abouti possible, le saisir à l’ordinateur, très aéré, sans ratures, avec le minimum de fautes, avec un découpage de paragraphes clair. En général, le lecteur qui sera chargé du manuscrit, va lire la première et la dernière page. Ces pages doivent donc être très attractives. Si le lecteur est accroché par cette première « lecture », d’autres pages seront lues. Puis le manuscrit commencera à circuler entre plusieurs personnes au sein du comité de lecture et sera peut-être retenu.
Interview réalisée par Yehni Djidji
C'est vrai que les Ivoiriens lisent peu, mais comme Mr Grah le dit une politique nationale du livre peut changer la donne. Il n'y absolument pas de bibliotheques publiques pour ceux qui veulent lire! Je me suis toujours demandé s'il y a des livres à la bibliotheque nationale qui n'existe que de nom a mon avis!
RépondreSupprimerL'Edition en C I, c'est un casse-tete chinois! un dédale total! J'espère que ça changera un jour!!! Crénom!
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