La fin justifie-t-elle les moyens? Jusqu'où peut-on aller pour sauver une vie?
Merci à Tanya G pour sa contribution. Dans Effet Domino, elle nous dépeint la journée mouvementée de Serges, un technicien de surface, dans une entreprise où histoires d'argent, de cœur et de corps se mêlent et s'entremêlent.
Mardi, 5 heures du matin. Encore une nuit blanche pour Serges qui était debout bien avant le tintamarre quotidien de son alarme. Son père était torturé par une maladie qui ne disait pas son nom ou du moins qui était inconnue du répertoire approximatif de docteur Séké, docteur de quartier. Sa mère l’informait chaque heure de la dégradation progressive de son état. De quoi faire fuir en vous tout sommeil. Le dernier appel de sa mère résonnait encore en lui en espèces sonnantes et trébuchantes, à lui couper même l’herbe qu’il n’avait pas sous les pieds.
« On doit transférer d’urgence ton père à la clinique Saint André pour le faire opérer » avait-elle dit entre frénésie et désespoir.
Serges avait bien compris. Transfert= 50.000 FCFA, frais de clinique= 100.000 FCFA, frais d’opération= 200.000 FCFA. Où est-ce qu’il allait trouver 350.000 FCFA ?
C’est la tête surmenée d’équations à multiples inconnus qu’il alla machinalement au travail. Il arriva en avance. Bien avant 8 heures, avant que ces bonnes gens appelées employés ne fassent grâce de leur présence bien plus tard. Il commença par la salle des photocopieuses comme à son habitude. 8 heures 45. Il ne restait plus que l’imposant bureau de la DAF, la jeune épouse du PCA Pascal Konan, avant de passer au quatrième étage. Dans la salle d’attente qui précède le bureau, il remarqua sur le fauteuil en cuir de buffle, abandonné dans la plus grande des impudences, un article de lingerie qui n’appartenait pas à ce décor. À peine l’avait-il ramassé que s’offrait à ses yeux une scène qu’il n’était pas supposé voir, que personne ne devait savoir. Il n’eut pas le temps d’être ahuri de voir la DAF, Hortense Konan, et le chef comptable Cyril Amoakon en position plus que compromettante, qu’il fut fustigé par ceux-ci d’intenses regards semblables à ceux de bêtes sauvages traquées jusque dans leur dernier rempart par des chasseurs. Si en pareille situation le chasseur avait l’avantage, Serges lui, sentait le danger qui pesait sur lui et regrettait amèrement d’être venu en avance. Dans un réflexe bestial, il prit ses jambes à son cou pour laisser derrière lui cet énième problème venu grossir son fardeau. Au bout de sa course, loin du bureau de son malheur, respirant de tous ses poumons l’air menaçant, il s’était rendu à l’évidence qu’il n’y avait dans tout cet immeuble aucun lieu fortifié pour le protéger du courroux de la DAF. S’en était fini, son renvoi était imminent. Ô quel malheur ! Et cette heure n’avait pas fini d’en apporter…9 heures 16, son téléphone portable sonne. C’était sa mère. «………… »
Il ne voulait entendre ce qu’il savait déjà, et il ne pouvait annoncer à sa mère la nouvelle de son renvoi. Ô quelle tragédie ! Alors qu’il se morfondait et s’apitoyait sur son sort, une idée orpheline ne se réclamant ni de Dieu ni du diable, lui traversa l’esprit. Il venait de trouver le moyen de renverser la vapeur du feu qui le consumait.
10 heures. Dans la confluence matinale des employés, et leurs allées et venues donnant la fausse impression de personnes occupées, Serges était sans surprise convoqué au bureau de la DAF. Ce n’était pas le même Serges qui avait fait le chemin inverse dans une peur qui avait motorisée ses jambes. Non, c’était un Serges calme, qui marchait d’un pas assuré. Il entra dans le bureau et pris place bien volontiers quand on lui donna à s’asseoir. Mme Konan pouvait lire sur son visage cette assurance non fondée là où elle cherchait la frayeur de ce matin. Elle en était agacée.
« Serges, je peux te faire renvoyer à l’instant alors tu ferais mieux de me ravaler ce sourire. Si cette histoire s’ébruite, je te… »
« Elle ne s’ébruitera pas si vous me verser la somme de 500.000 FCFA » avait-il répliquer d’un timbre ferme mais respectueux avant qu’elle ne finisse sa phrase.
Mme Konan était sidérée.
« Mais pour qui tu te prends ? Dois-je te rappeler que la parole d’un technicien de surface ne vaut rien contre la mienne et que… »
Serges l’interrompit une seconde fois.
« Ma parole vaudra sans doute son pesant d’or aux oreilles du PCA. J’ai en ma possession, un objet qui vous appartient et qui ne peut que vous appartenir. Vous avez égaré ce matin votre soutien-gorge… »
« Et c’est avec un soutien-gorge que tu comptes me faire chanter ? Laisse-moi rire ! »
« Sans vouloir être indécent Madame, vous savez très bien qu’en tour de poitrine, vous faites l’unanimité ici, et la qualité de l’article en dit long sur le propriétaire. De toutes les femmes ici, vous êtes la seule à pouvoir l’acheter et le porter. »
Mme Konan était dos au mur. Déjà suspicieux, Pascal son mari, ne devait surtout pas entendre de tels propos. Elle se plia donc aux exigences de Serges. Et puis, 500.000 FCFA c’était une goutte d’eau dans la mer, la goutte d’eau dont il fallait protéger le vase pour ne pas qu’il déborde.
« Le virement sera effectué dès cet après-midi. M. Amoakon va se charger des formalités. Quant à l’effet personnel que tu détiens, j’attends qu’il me soit discrètement rendu aujourd’hui même. Ferme la porte en sortant. »
« Merci Madame. Bonne journée a vous. »
Serges venait de tenir en laisse le chien méchant qui menaçait de le mordre, non sans se procurer le plus que nécessaire pour les frais médicaux de son père. C’était tout fièrement qu’il déambulait dans le couloir menant au bureau du chef comptable Cyril Amoakon, l’autre protagoniste. Cyril avait préféré s’endurcir dans le célibat plutôt que se ramollir dans le mariage. Et comme célibat ne veut pas dire abstinence, il avait trempé autre chose que sa plume dans l’encre de plus d’une de ces dames pour leur grand plaisir et au grand dam de ses collaborateurs masculins jaloux à souhait. Ses détracteurs voyaient en lui un bellâtre, là où ses admiratrices fantasmaient sur ce bel être.
« Excusez- moi M. Amoakon, la DAF m’envoie vérifier que vous avez tous les documents requis pour le virement qu’elle vient d’autoriser. » dit Serges posté à l’entrée du bureau vitré du chef comptable.
Cyril lui lanca pour toute réponse un regard ouvertement dédaigneux qui exprimait tout son mécontentement. Pour lui, Serges aurait dû être prestement débarqué. Mais au lieu de cela, lui Cyril devait falsifier le livre de comptes pour justifier ce virement. Rien que ça ! Or, ce n’était pas la première fois que le chef comptable allait s’arranger pour que 1+2 fassent 4. Il le faisait souvent pour son propre compte et avait usé de ses charmes, très tôt les matins, pour recueillir au fond d’elle, la bénédiction de la DAF.
Serges se retira dans une démarche non pas de provocation mais d’avertissement. Il était 10 heures 40. 11 heures, sa mère ne manqua pas de l’appeler pour réitérer ses diagnostics morbides. Cette fois ci, Serges ne manqua pas de la rassurer. Il aura les 350.000 d’ici quelques heures. Mais le temps pressait. Sa mère aussi. 11 heures 40, il refit un tour devant le bureau de Cyril. S’en suivit le même échange d’œillades qui n’avait naturellement pas échappé à Anita, la secrétaire du département comptabilité, qui captait toutes les occurrences du bureau de celui qu’elle aimait à tort ou à raison. Son bureau à elle faisait face à celui d’Herman Konan, expert-comptable et neveu du PCA. Anita alla s’enquérir de ces échanges insolites auprès de Cyril qui était de mauvaise humeur. C’était sûrement le stress. Non, c’était autre chose. C’était Serges et autre chose. C’était que l’affaire de Serges l’avait rendu mercuriale au point de faire monter sa tension artérielle alors qu’il devait être opérationnel dans quelques minutes. Il avait un rendez-vous ce midi avec la nouvelle responsable client du 5ème , du bon gibier. N’est pas Don Juan qui veut, mais qui peut. Et Cyril pouvait, donc il faisait. Et il allait faire. Le faire avec la fille du 5ème . Il avait la pression de bien faire. Mais Serges lui avait mis une autre pression qui risquait de tout gâcher. Il avait les nerfs à fleur de peau, et quand Anita lui avait demandé ce qui n’allait pas, il a explosé comme une bombe. Il a lâché des explosifs, des détails explosifs.
« Mais, c’est cet enfoiré de Serges, cet empêcheur de tourner en rond ! Il veut se jouer les maîtres chanteurs parce qu’il m’a surpris avec la DAF ce matin ! » balança Cyril sans se rendre compte de la gravité, de la pesanteur de cette information.
Anita savait qu’il courrait tous les jupons. Mais elle se disait qu’un jour, il serait fatigue de courir et il allait s’arrêter sur elle. Après tout, il disait l’aimer. C’est pour ça qu’elle fermait les yeux sur les activités intra-jambaires récurrentes de Cyril qui n’en demandait pas tant. Certes, il chérissait sa liberté d’être libertin plus qu’Anita, mais il appréciait cette once de stabilité et de sérénité qu’elle lui procurait lorsqu’ il en avait besoin. C’est dans ce genre de moments qu’il eu à prononcer un « Je t’aime, tu sais » qui voulait dire « j’aime ces moments de calme, de refuge. » Il était si à l’aise avec elle, parce que justement elle ne lui demandait ni explication ni promesse, qu’il lui faisait plusieurs confidences. C’était cette intimité qui donnait de l’espoir à Anita. Mais cette confidence-là, venait la soumettre à l’épreuve de la réalité.
« Comment ça, il t’a surpris avec la DAF ? » interrogea t-elle d’un ton jaloux.
« Oh, ne t’énerve pas pour si peu. Avec la DAF, c’est rien. Je fais juste ça pour arrondir mes fins de mois. Tu comprends ? » dit-il en se levant dans la précipitation pour aller à son rendez-vous, non sans se parfumer une fois de plus.
« Dit à Herman de terminer ces dossiers pour moi. J’ai un déjeuner très important. On se revoit après. »
Non, elle ne comprenait pas. Surtout quand il s’agissait de la DAF. Qu’est ce que la DAF avait de plus qu’elle ? Elles avaient le même profil ; âge, cursus ; mais pas la même fortune. En plus, Hortense n’avait ni éclat ni beauté, juste une forte poitrine. C’est par chance qu’elle se retrouve mariée à un PCA qui l’a fait nommer DAF ! Non seulement Anita n’a pas eu cette chance, mais voilà qu’Hortense venait picorer dans son nid à elle.
C’est la mine défaite qu’elle remit les dossiers à Herman qui avait vu la scène sans en entendre les mots. Il n’attendait qu’un faux-pas de Cyril pour le faire plonger et Anita c’était la porte des secrets. Il connaissait ces sentiments pour Cyril et il demanda : « C’est son déjeuner avec la fille du 5ème qui t’attriste ainsi ? »
Trop c’était trop. Anita fondit en larmes. « Quelle idiote j’ai pu être ! Comment ai-je pu penser qu’il m’aimait ? » Herman lui apporta le confort de ses bras pour la consoler.
« Tu t’en remettras Anita. T’es sûrement pas la seule à qui il a fait miroiter ces mensonges. »
« Tu ne crois pas si bien dire Herman. Je parie qu’il a sorti le même jeu à la DAF pour qu’elle s’adonne à des galipettes matinales en ces lieux ! » dit-elle, amère.
« Non, sérieux ? La DAF aussi ? » s’étonna Herman, abasourdi.
« Mais, oui ! Même qu’ils se sont fait surprendre ce matin par le technicien de surface qui a négocié son silence à 500.000 FCFA. »
Herman jubilait intérieurement. Lui et sa mère méprisaient Hortense qu’ils considéraient comme une pimbêche et profiteuse. Il n’avait pas non plus digéré qu’elle soit nommée au poste qu’il convoitait. Il était le fils de la sœur aînée du PCA après tout, et l’on connaît l’importance du lignage matriarcal chez les Akans…
Dans l’euphorie de son déjeuner, Cyril avait involontairement laissé dans la pile de dossiers destinée à Herman, des documents attestant de ses fraudes et détournements. Cyril allait plonger, et Herman allait le noyer. Mieux, il avait de quoi faire sauter la DAF, pour récupérer son dû. Il n’avait qu’un coup de fil à passer à son oncle.
13 heures 56. Il raccroche son téléphone.
15 heures. La nouvelle tombe. Le PCA convoque tout le personnel à une réunion demain Mercredi à partir de 8 heures. On annonce de grands changements. Des têtes vont tomber. D’ordinaire, les techniciens de surface et autres employés de maintenance ne sont pas conviés à ce genre de réunion. Mais, Serges est convoqué.
TANYA G
TANYA G
La suiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiite!!!!!!
RépondreSupprimerlol le pauvre Serges! il n'aura pas son argent!! et son pauvre père....
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