La voiture de Barry était stationnée sur le bas-côté de la route. Le chauffeur du camion n’avait pas daigné s’arrêter. La sonnerie du téléphone retentissait toujours, insistante, dérangeante. Les mains crispés sur le volant, Barry avait le cœur qui faisait des bonds désordonnés dans sa poitrine. Au moins il était encore en vie, sain et sauf. Il avait échappé de justesse à une mort certaine. Cet enfant qui arrivait avait bien intérêt à être un garçon ! Le téléphone continuait de scander en boucle Nouhoumé de Bailly Spinto.
Un véhicule s’arrêta et deux hommes en descendirent. L’endroit n’était pas bien éclairé. De vieux lampadaires jetaient une lumière blafarde sur de petites portions de route. Barry eu peur. Le premier, grand, mince, ne devait pas avoir trente ans. Il portait un polo aux couleurs nationales et un pantalon jeans noir. L’autre qui devait avoir le même âge que Barry, portait une chemise brodée en lin et un pantalon noir. Ils n’avaient pas des têtes de voleurs, ils ressemblaient plutôt à un père et son fils. Il baissa sa vitre dans un chuintement.
-Vous allez bien Monsieur ? Les gens conduisent vraiment mal.
-Oui, je vais bien ! Merci
-Il aurait pu vous percuter !
-Je suis conscient d’avoir eu beaucoup de chance. Il faut croire que ce n’était pas mon jour, dit-il en souriant, gêné par le regard insistant du plus âgé qui le dévisageait sans se gêner.
-Barry ? Barry Kouléba ? demanda-t-il.
-Oui, c’est bien moi ! On se connait ?
-Timothée Nyanga !
Barry posa des yeux écarquillés sur le vieux. Il descendit précipitamment de sa voiture et ils s’étreignirent longuement en riant.
-Timité Nyanga ! Comme tu as vieillis !
-Tu n’es plus tout jeune non plus, objecta l’autre.
-ça fait combien d'années qu'on ne c'est pas vu?
-Oh, moi je te vois tous les jours à la télévision!
Barry sourit.
-Qu’est-ce que tu fais ici ?
-Laisse-moi te présenter mon fils, Vincent. Nous sommes venus voir ma mère qui est malade.
-Enchanté Vincent, il lui serra la main, je suis désolé pour ta mère.
-Oh, c’est une vieille femme très rusée, elle a plus d’un tour dans son sac pour tromper la mort.
Ils éclatèrent de rire.
-Je risque même de partir avant elle à cette allure.
-C’est un grand gaillard que tu as là ! s’exclama Barry, qui enviait son ami. Comme il aurait aimé avoir un fils lui aussi.
-Vincent ! Ma fierté ! Mon cadeau de jeunesse ! dit-il en riant. J’étais encore étudiant quand je l’ai eu. A l’époque c’était plutôt une erreur de jeunesse…
-Papa !
-Laisse-moi finir ! C’était une erreur de jeunesse pour les autres, mais moi je savais que cet enfant-là avait de l’avenir. Aujourd’hui il est sous-directeur de la zone Ouest-africaine dans une multinationale spécialisée dans l’agroalimentaire, annonça-t-il, avec fierté.
Des souvenirs se mirent à affluer dans la mémoire de Barry. Des rires, des pleurs, des visages, des bribes d’une autre vie qu’il croyait disparu à tout jamais. Il s’excusa et sortit de sa boîte à gants une de ses cartes de visite qu’il tendit à son vieil ami. Timité en fit de même.
Ils se séparèrent en se promettant de trouver une date pour se revoir, avant la fin du mois. Barry remonta dans son véhicule. Bailly Spinto chantait toujours. Agacé, il décrocha le téléphone.
-Quoi ?
-Qu’est-ce qui t’arrives chéri ?
-Est-ce que tu sais que par ta faute j’ai failli me faire percuter par un véhicule ?
-Seigneur, qu’est-ce qui s’est passé ? Tu vas bien ?
-Oui je vais bien ! Mais il s’en est fallu de très peu ! Alors je suis désolé mais ton enfant se passera de sauce graine aux crabes poilus ce soir ! Je rentre chez moi !
-Barry c’est à moi que tu parles comme ça ?
-Ecoute on se verra demain, ou le jour suivant. J’ai eu trop d’émotions fortes pour la nuit.
Il raccrocha sans lui laisser le temps de parler. Il attendit une dizaine de minutes, pour que son rythme cardiaque et sa respiration se normalise et il fit demi-tour pour regagner son domicile.
Dès que Barry mis le pied dans la chambre, Rukayat devina qu’il n’allait pas bien. Comment pouvait-il aller bien, avec cette quête effrénée de fils dans laquelle il s’était lancé. Elle se demandait parfois si elle était une femme bien, juste parce qu’elle savait que son mari était un distributeur public de semence et qu’elle ne disait rien. Cela faisait-il d’elle une épouse plus aimante ? Plus soumise ?
Ils s’étaient rencontrés il y avait plus de vingt-cinq années aujourd’hui. Barry venait à peine d’ouvrir sa première société et il filait le parfait amour avec Honorine Aké, la meilleure amie de Rukayat. Rukayat était issue d’une famille aisée. Ce n’était pas le cas de Honorine. Très vite elle avait compris que Barry ne convenait pas à une fille quelconque comme Honorine. C’était son amie, elle l’aimait beaucoup, mais elle avait vu le potentiel de Barry. Elle avait su qu’il lui fallait une femme comme elle pour atteindre les sommets les plus élevés. Elle avait tout fait pour qu'il se sépare d' Honorine.
Parfois elle avait envie de lui dire la vérité ; quand le secret devenait trop lourd et qu’il pesait sur sa langue et voulait forcer la barrière de ses lèvres. Mais elle ne pouvait s’y résoudre. Quelle garantie avait-elle qu’une fois qu’il aurait eu un fils, il ne s’attacherait pas à la mère de ce dernier ? Surtout que Honorine était son premier amour? Et s’il la répudiait ? Non ! Elle préférait supporter la honte d’être une femme trompée que celle d’être une femme divorcée. Elle avait sacrifiée trop de choses pour que ce foyer fonctionne.Non, jamais elle ne dirait à Barry Kouléba que quelque part sur la surface de la terre, il avait un fils.
Oeuvre de qualité sortit d'un esprit bien inspiré et rendue avec la dexterite d' une plume tres exercée.
RépondreSupprimerHuumm Yehni, c'est de la torture!!!! vivement la suite!! c'est très interessant
RépondreSupprimerMerci Tanya! @Carolle, la patience est un chemin d'or! Cinquième partie activée!
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