Barry Kouléba était un homme d’affaires très prospère approchant résolument de la cinquantaine. La barbe taillée en couronne et les cheveux grisonnants, la mâchoire volontaire, il s’habillait fréquemment dans de grands boubous en bazin extrêmement riche, hors de prix qui l’obligeaient à marcher à pas lents et avec élégance et cachaient admirablement son embonpoint. Il n’était pas musulman, même si son nom et son style vestimentaire conduisait souvent les gens à faire cette grossière erreur et à lui lancer des « salam aleykoum » à tout va. Barry était croyant. Il croyait au pouvoir de l’argent.
Barry Kouléba s’assit lourdement sur son lit. Il était éreinté. Une douleur irradiait ses lombaires depuis le début de l’après-midi et le bain chaud qu’il avait pris dès son arrivée à la maison ne l’avait pas fait disparaître. Son épouse lui avait administré un massage, qui n’avait rien arrangé non plus. Il avait plutôt éveillé ses sens et créer des débordements qui l’avaient laissé encore plus mal en point, une fois l’euphorie du moment atténuée.
Tout le monde pense qu’avoir sa propre entreprise, être son propre patron est le summum de la facilité.
« Tu viens à l’heure que tu veux, tu repars à l’heure que tu veux et tu n’as de compte à rendre à personne », entendait-il souvent.
Mais la réalité était tout autre, du moins si tu voulais devenir prospère. Et Barry était prospère. Toujours en tête des classements des plus grosses fortunes de son Etat, il faisait les réceptions les plus pompeuses et les dons les plus impressionnants aux organismes de charité. Plusieurs rues portaient son nom, tout comme un stade, la coupe d’un tournoi de football et une bourse d’étude qu’il finançait de sa propre poche.
Pour arriver à ce niveau, Barry Kouléba avait dû se réveiller aux aurores, repartir le dernier de son bureau et surveiller étroitement ses employés. Il n’hésitait pas à retrousser ses manches et mettre lui-même la main à la pâte ; il était l’agent commercial le plus efficace de sa société. Il le faisait remarquer fréquemment à ses employés d’ailleurs.
Cependant Barry n’était pas heureux. Comment pouvait-on être riche et malheureux ? La demeure principale de Barry était un vrai mastodonte qui écrasait en beauté et en luxe les maisons voisines, et pourtant elle était située dans le quartier le plus huppé de la ville. Les voitures fleurissaient dans son parking comme des fleurs dans un jardin. Malgré tout, cela faisait quelques jours déjà qu’il délaissait la nourriture de sa femme ou alors chipotait quand elle insistait. Il avait aussi de longues nuits d’insomnie où il restait étendu sur le dos, les yeux grands ouverts rivés au plafond et ce n’était pas à cause des ronflements sourds et réguliers de son épouse la belle Tandja Rukayat. Elle se bonifiait comme le vin, au fur et à mesure que le temps s’écoulait. Cinq enfants déjà, mais toujours belle et attirante, toujours coquette et désirable.
Et c’était là que résidait le problème de Barry. Cinq grossesses, cinq filles ! Barry était désespéré. Dans sa tradition, celui qui n’avait pas de fils était la risée de tous. De plus, avec sa fortune il lui fallait un héritier au risque de voir ses biens dilapidés par les futurs maris de ses filles, des coureurs de dotes.
Ses filles étaient encore jeunes. La plus grande avait eu 20 ans, il y avait une semaine à peine. Mais Barry voyait déjà un escroc à la langue mielleuse venir lui remplir la tête de mensonges pour la faire succomber et l’épouser juste pour son héritage. Les filles sont tellement stupides parfois !
Barry avait tout essayé pour que cet enfant mâle lui soit enfin accordé par Dieu ou une toute autre divinité. Il avait consulté différents devins, féticheurs et grands marabouts qui l’avaient lavé plusieurs fois. Puis, il avait pris plusieurs maitresses, qui étaient rapidement tombées enceintes. Toutes ces grossesses avaient été soldées par un échec : des filles.
Ah ! Barry avait crû mourir. Il avait fait un petit voyage à l’étranger pour ne pas sombrer dans la dépression. Aujourd’hui il se retrouvait avec 11 filles dont l’âge variait entre 20 et 6 mois. Comment Barry pouvait-il trouver le sommeil dans ces conditions ? Encore heureux qu’il ait suffisamment d’argent pour en prendre soin. Et Barry réfléchissait, réfléchissait, réfléchissait.
Son téléphone portable se mit à vibrer. Il reconnut le numéro de sa plus jeune maîtresse et aussi la plus récente. Il envisageait même de se séparer d’elle. Un an de relation et toujours aucun signe de grossesse. Barry l’aimait bien, mais n’avait pas de temps à perdre. Ce qu’il voulait, c’était un fils.
Il quitta doucement le lit. Rukayat changea de position mais ne se réveilla pas. Elle était belle sa Rukayat et très compréhensive. Elle connaissait l’existence de ses enfants et de leur mère. Cela ne la gênait pas outre mesure tant qu’elle était l’épouse légitime et unique et que ses enfants étaient à l’abri de tout besoin financier. Elle avait fait ouvrir un compte bloquée pour ses filles par Barry, condition sine qua none pour fermer les yeux sur tout.
Une autre condition était qu’elle ne voulait jamais voir ses maîtresses. Chacune devait connaître sa place. Elles ne devaient pas venir la narguer ou l’insulter. Lui et toutes ses petites « suceuses d’argent » comme elle les appelait devaient la respecter, parce que « chez les Tandja, les femmes sont douces et respectueuses mais quand elles sont poussées à bout, se sont de vraies tigresses incontrôlables ».
Barry s’était plié à toutes les exigences de sa femme. Une fois hors de la chambre il décrocha le téléphone.
-Viviane, qu’est-ce qui te prend d’appeler à cette heure de la nuit ?
-J’avais envie de te parler c’est tout !
-Je n’aime pas ça ! J’ai été pourtant très clair dès le début. Je suis couché avec ma femme ! Un peu de respect quand même ! Tu n’as pas vu l’heure ?
-Qu’ai-je fait de mal pour que tu me parles de la sorte ?
-Tu ne connais pas ta place et je n’apprécie pas ça !
-Excuse-moi de t’avoir dérangé, je voulais juste te dire que j’avais fait un test de grossesse qui s’est avéré positif.
Viviane mit fin à la conversation laissant un Barry pas très sûr d’avoir bien entendu entrain de crier « Allô, Allô » dans le vide. Il tenta de la joindre mais son portable était fermé. Il s’assit sur la chaise la plus proche, troublé.
c'est tout simplement magnifiquement écrit ! j'attends la suite!
RépondreSupprimerC'est fait! Je viens de la publier!
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