Merci à Josué Guébo pour sa contribution au mois de la Littérature. Avec "le médiateur", il nous plonge d'une part dans une romance caustique, aromatisée et épicée entre employeur marié et employée très célibataire sur fond de SMS que beaucoup reconnaîtrons....et d'autre part dans l'univers laborieux, et ô combien contraignant de la médiation.
Sous l’effet conjugué de la climatisation et de la fraicheur hivernale, le pharmacien s’est découvert une plus grande gentillesse envers certaines agentes du comptoir. Rien de passionnel, quelques embardées vite contenues, voltiges furtives, entre chien et loup… Sauf que l’une des employées – par une pluie de SMS suggestifs – veut donner d’avantage de consistance aux petits jeux qui, de l’avis du patron, devraient peut-être en rester là.
Au début, ce qu’écrit la jeune travailleuse est très neutre, inodore à la limite : « Bonsoir docteur ». Après, il y a un soupçon de musc : « Très bonne nuit ». Ensuite, de l’épice : « Que cette nuit te soit douce et câline. » et plus tard, des lignes quand même un peu aromatisées, « envie de sentir ton parfum dans la nuit » et enfin des choses franchement poivrées dont je dispenserais volontiers mon honorable lecteur, non sans toutefois livrer la réponse qu’y donne, dans la pénombre, le mufle : « moi aussi !».
Des messages de ce type le pharmacien en collectionne une bonne ribambelle et se les relit, à lui tout seul, dès qu’il en a l’occasion. Mais la jeune employée, à vrai dire, n’écrit pas que des choses suggestives. Ses texto peuvent exprimer de l’amitié, de la tendresse. De l’humour aussi, relativement niais à l’occasion. Et cela donne : « Deux fous grimpent à un arbre. Au bout de 3 h, l’un d’eux se laisse tomber et l’autre lui demande : ‘tu es fatigué ?’, il répond : ‘non, je suis mûr’ ». Ou encore : « Un homme fait une rêve où il est poursuivi par des sorciers qui l’attrapent et l’attachent pour l’égorger. L’homme se débat pour échapper mais il est réveillé par la sonnerie de son portable. Content d’être réveillé, il prend son portable et voit ce sms qui s’affiche ‘on t’a raté, il faut dormir encore, tu vas voir’ lool, bonne nuit ! ».
En lisant cela, le pharmacien rit de bon cœur, se lisse la moustache, respire un bon coup, mais devient grave quand il voit : « Je pense que la richesse n’est pas seulement la quantité d’argent dont on dispose. Elle est également le fait d’avoir pour amis des personnes comme toi. Prends soin de toi. Car tu es une richesse pour moi. Les plus belles choses viennent du cœur et mon cœur te souhaite une agréable nuit. Kisssssss. ».
Le pharmacien se laisse alors envahir par le murmure des mots. Il les trouve choisis et se dit, mesquin, que son épouse ne lui a jamais rien adressé d’aussi fervent. Mais ce petit nuage de plaisirs volés se perfore quand l’épouse découvre, un soir, toute cette prose à l’eau de rose : un téléphone oublié sur le canapé et c’est l’averse… La dame vocifère, l’homme, lui, sait que la meilleure façon d’obtenir du silence de son épouse, c’est lui montrer l’exemple : se taire soi-même. La méthode fonctionne, dans la quasi-totalité des cas. Mais lassitude ou besoin inconscient d’être caisse de résonance d’une caissière, le pharmacien ce soir-là ne se sent pas disposé à se laisser faire.
Sa femme, à vrai dire, y va plutôt à fond la caisse : elle vilipende celle qui à son avis n’est qu’une « fille mal élevée » et heurté, le pharmacien essaye, par mauvais goût évident , le très classique « Il ne faut pas prêter des intentions à une jeune fille sans arrière-pensées. Que vas-tu chercher là ? ». La maladresse de l’homme met le feu aux poudres et l’adition est salée : le pharmacien doit recourir aux services d’un de ses amis, Martial, pour convaincre la femme de renoncer à son projet de divorce.
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Martial est un homme marié qui rentre tous les soirs à 19 heures, réglé jusque dans le choix de ses habits – trois couleurs pour le travail : le blanc, le bleu et le beige, ni carreaux, ni rayure, ni pois, des chemises unies, sobres, sans poches, sans épaulettes ; le pantalon tout aussi sobre ; sans pinces, poches droites, couleur sombre et sans rayures, sans carreaux – oui, cet homme aussi sage qu’une image de CV pose les deux coudes sur la table, écoute attentivement la femme de l’ami et manifeste une sensibilité évidente aux problèmes relatés. La femme le voit, plus d’une fois, remuer la tête, froncer les sourcils, cligner des deux yeux, soupirer même, quand elle aborde tel ou tel aspect de son récit. Un homme plein d’empathie, en somme.
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Mais Martial qui est sage comme une photo de CV, ressemble aussi à un poncif : simple en apparence, complexe en réalité. Son sens de la persuasion repose sur une recension d’évidences à faire bailler. Pourtant, sa façon de débiter les choses – même des clichés – auréole chacune de ses paroles d’une résonnance nouvelle. Il parle de l’intérêt « de pardonner », « d’avoir un foyer à soi », « une maison qui nous appartienne en propre », « une alcôve où l’on soit seul à seul avec l’homme de sa vie », avec un rien fantastique dans la voix. Et cela marche. En deux ou trois semaines la jeune femme est convaincue de passer l’éponge sur ce qu’elle reproche à son époux. Le succès de la médiation est d’autant plus éclatant qu’elle lui avouera redécouvrir son époux sous un jour merveilleux.
Le soleil se lève de nouveau : le pharmacien et son épouse s’offrent plus d’une excursion, sorties romantiques aux sables dorés d’Assinie, déjeuners en tête-à-tête, diners aux chandelles. Martial, de son côté, effleure à peine les plats qu’on lui sert et écoute d’une oreille distraite ses interlocuteurs, les jours qui suivent. Des amis qui pensent à une trop grande charge de travail, lui proposent de prendre des vacances : les syllabes proférées en guise de réponse montrent bien qu’ils auraient tout intérêt à le laisser tranquille.
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Mais, de même qu’il y a un Dieu pour les pauvres, il y a sans doute aussi un diable pour les hypocrites. Les rapports entre le pharmacien et son épouse se dégradent au bout de quelques mois et Martial, encore sollicité par le pharmacien, respire ! C’est pour lui, un réel soulagement de revoir cette jeune femme, ses pantalons moulants, ses cheveux en arrière, son sens de l’insinuation, cet humour un peu cruel dont les événements de la vie lui ont fait don. Ils vont pouvoir, comme par le passé, être ensemble, faire les restaurants, les terrasses et les cafés. Elle, étaler ses récriminations et lui, faire semblant de la raisonner.
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Les chemises à rayures qui font leur irruption dans le champ vestimentaire de l’homme, ces parfums un peu plus forts révèlent un médiateur moins fervent. La femme sait qu’il déroge à ses règles habituelles depuis un certain temps et cela lui plait énormément. Elle le laisse simplement venir, se délecte de ses dédites et des petites explications alambiquées qui les accompagnent, comme les gestes désespérés d’un nageur débutant.
La dame se serre contre lui. Il fait semblant d’en être indifférent. Elle rejette ses cheveux en arrière à une fréquence régulière. Cela lui donne un air irréel. Elle le fixe longuement puis pose son menton sur l’épaule de l’homme. Il a d’abord du mal à lui passer les mains autour de la taille mais finit par s’exécuter.
C’est quoi, le nom de ton parfum, déjà ?
Oh je ne sais pas. Je ne fais jamais attention à ces trucs.
Il ment et cela amuse la jeune dame qui trouve excitants les nouveaux menteurs. Ils ont une pointe de candeur qui renforce chez elle le sentiment de les dominer. L’homme a soigneusement choisi ce parfum qui coûte une bagatelle. Elle le sait bien mais ses questions s’arrêteront là.
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Martial, même s’il n’a jamais fait la moindre proposition franche, pose un nombre important d’actes révélateurs : messages empressés, bijoux, invitations, voyage à plus d’une centaine de kilomètres d’Abidjan. Ces marques d’attention achèvent de convaincre la femme de sa volonté de conclure une médiation débutée de main de maitre.
De toutes les façons, le rôle d’un médiateur c’est de ramener le bonheur. Le conciliateur essaye d’abord de colmater les brèches du navire à la dérive, mais si les morceaux éparses s’obstinent à voguer à contre-courant de la médiation, il a le devoir, lui, de coller de sa propre salive les morceaux réfractaires. Et puis finalement, la jeune femme trouve réconfort et apaisement dans la barque de la médiation, loin des eaux du foyer naufragé. De même que l’on ne compte pas les dents des grilleurs d’arachides, l’on doit se garder d’ausculter la pagaie des timoniers, ricane Martial !
Eh quoi ? Le pharmacien a bien pour lui ses molécules révolutionnaires, ses étalages de psychotropes, ses caisses et ses caissières, il peut en disposer à volonté pour calmer la fureur de ses soirs d’amertume ! La femme est à sauver et il est bon que s’instaure entre elle et lui, une médiation, un estuaire sur lequel déboucherait, pour ses pas endoloris, un autre horizon.
Par sadisme, le médiateur entre dans une pharmacie. Il n’achètera ni aspirine, ni nivaquine. Il se dirige vers un rayon, prend trois plaquettes d’un produit sur lequel j’ai juste le temps de lire « extra fin, parfum banane » et sur un autre « parfum fraise ». C’est peut-être une nouvelle marque de chewing-gum qu’il va offrir à la jeune dame pour renforcer la médiation !
JOSUE GUEBO
"Le conciliateur essaye d’abord de colmater les brèches du navire à la dérive, mais si les morceaux éparses s’obstinent à voguer à contre-courant de la médiation, il a le devoir, lui, de coller de sa propre salive les morceaux réfractaires."
RépondreSupprimerj'etais par terre à la lecture de cette phrase!!! good one!! Please keep them coming :)
J'ai moi aussi aimé cette partie @Carolle! En tout cas, on sait maintenant à quoi s'en tenir avec les médiateurs!
RépondreSupprimerahahahahahahah c'est sûr!! de toute façon je n'ai jamais aimé les médiations lol!!
RépondreSupprimeroooorrrr!et la suite!
RépondreSupprimerc´est comment comment!
Nanok120
Félicitations. L'histoire est bien écrite, drôle, subjective, merci pour ce délice littéraire.
RépondreSupprimerSéphora