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mardi 12 juillet 2011

LES PETITES HISTOIRES DE YEHNI N°8

LA CAGE DORÉE

« Mesdames, l’heure est grave. Notre pays se meurt et je pense qu’il revient à nous, les femmes, les mères, les porteuses de vie de lui insuffler cette vie. Nous sommes trop longtemps restées dans l’ombre des hommes. Nous les avons laissé faire, par soumission, par lâcheté, appelez cela comme vous voulez. Mais je crois qu’il est temps que les choses changent. C’est pour cela que nous avons créé cette association, la LFDC : la Ligue des Femmes Debout pour le Changement.
C’est nous qui administrons nos foyers au quotidien alors que nos époux papillonnent dehors. C’est nous qui gérons le budget familial et qui nous préoccupons de nos enfants quand les hommes eux dilapident leur argent. Une femme même quand elle est analphabète vaut bien mieux qu’un homme instruit. Si elle cherche de l’argent c’est pour évoluer et assurer la réussite de ses enfants, l’avenir du pays. Alors que l’homme lui ne songe qu’à amasser de l’argent pour pouvoir avoir toutes les femmes qu’il désirera. 



Nous méritons mieux que les coups et les injures à longueur de journée. C’est pourquoi nous avons fait de la lutte contre la violence domestique, notre cheval de bataille. Vous toutes qui souffrez de maris irresponsables, d’hommes violents, de bêtes sauvages dans le corps d’hommes, venez nous voir à notre siège à Marcory résidentiel. Nous vous aiderons à vous prendre en charge et à être financièrement autonome. Nous vous aiderons à entamer des procédures juridiques pour que les tords, à vous causés, soient réparés. »

J’éteins la télévision. Les discours féministes et révolutionnaires de Dame Tandia, ne me seront d’aucune utilité. Je me regarde dans la glace murale qui surplombe le lavabo dans ma salle de bain aux carreaux en vrai marbre. L’image que me renvoies le miroir n’est pas la mienne. Ce n’est pas la femme déterminée à se battre pour émerger de la misère ambiante et se faire un nom à force de travail dans le secteur privé ivoirien.  Celle que je vois, c’est la jeune fille de vingt-sept ans, qui s’est mariée il y a six mois à peine avec un homme plein aux as. Elle a l’œil poché, la lèvre fendue et la joue tuméfiée.

Comment pourrais-je cacher cela ? Même le fond de teint le plus opaque ne pourra pas  rendre à mon visage la coloration de chocolat au lait que le reste de mon corps a.  Il ne m’avait jamais frappé au visage avant. J’étais son trophée.  Il préférait me briser de l’intérieur, ou abîmer les parties qu’on ne voyait pas. C’était ma beauté qui l’avait attiré. Des comptables compétentes il pouvait bien en trouver ailleurs.

Qu’ai-je pu bien dire aujourd’hui pour le mettre dans une colère pareille ? J’essaie de me remémorer la conversation qu’on a eu quelques heures plutôt. Avant qu’il ne sorte de ses gongs et me frappe violemment au visage. Je réfléchis. Je sonde ma mémoire. Aucun souvenir qui nécessite une réponse aussi rude. Nous étions assis tranquillement à table en train de prendre le petit-déjeuner. Il s’est levé, laissant son téléphone sur la table. La sonnerie de l’appareil a retentit plusieurs fois. J’ai décroché instinctivement tout en le cherchant pour lui remettre le téléphone. C’était une voix de femme au bout du fil.

-Allô, chéri ?  C’est Nadia.
-Non, ai-je répondu, vous faites erreur, c’est la femme  de chéri au téléphone.

J’ai senti une ombre derrière moi. Son téléphone était encore à mon oreille. Il me l’a arraché des mains et m’a giflée. Je suis restée là, la main sur ma joue endolorie et mes yeux arrimés aux siens, tentant de déceler à nouveau cette passion brûlante qui les embrasait quand il me faisait la cour.  Quand il a vu le numéro qui avait tenté de le joindre, les coups se sont multipliés.

Les gens croient souvent que le prototype de la femme battue, c’est la pauvre ménagère qui n’a pas de revenu pour voler de ses propres ailes ou  la femme au foyer qui reste là à cause de ses enfants. Madame Tandia et sa Ligue des femmes debout pour le changement le croient. Ils ont tous tort. Je suis comptable de formation. Je gagne bien ma vie, je n’ai pas encore d’enfants. Et pourtant je reste là.

Je suis un autre type de femme battue. Celle qui a cédé aux pressions de sa famille et de la société qui fait du mariage la plus haute marche de l’estime de soi féminin. Celle qui s’est précipitée à la mairie pour faire plaisir à ses parents et ne plus subir les railleries déguisées de ses amies.
Mes amies m’envient. Nouveaux bijoux, nouvelles voitures, nouveaux vêtements, je suis toujours bien mise et à la pointe de la mode. Personne ne connait la vérité. Personne ne connaît mon calvaire.

J’ai rencontré Sylvestre un 14 février. Il y avait une bonne dizaine d’années entre nous. C’était un homme déjà accompli. Il  était généreux avec moi et avec ma famille mais j’avoue que je ne ressentais pas l’amour fou pour lui. J’en étais la première intriguée. Il correspondait trait pour trait à mon idéal masculin. Grand, clair de teint, les muscles saillants, une voix de baryton. Mais l’amour n’était pas au rendez-vous. Il était drôle et cultivé. J’aimais simplement  sa compagnie.

Et puis mes parents ont commencé à me harceler. Mes promotionnaires étaient toutes mariées ou au moins, fiancées. Moi je ne me préoccupais que de ma carrière.
-Peut-être que c’est ton visage juvénile qui te trompe, mais tu ne rajeunis pas ma fille. Tu auras bientôt 30 ans, et l’horloge biologique tourne. Il serait temps que tu te maries.

Je leur ai expliqué que le mariage n’était pas une fin en soi pour moi. Je voulais être financièrement stable. Ma mère surtout ne le voyait pas de cet œil. J’ai demandé du temps pour réfléchir. Après de longs mois d’analyse, du pour et du contre, j’ai accepté la demande de mariage de Sylvestre.

Aujourd’hui je me rends compte que c’est une brute épaisse et que je me suis trompée. Mais comment partir sans perdre la face ? Si je m’étais directement ralliée à ma famille j’aurais pu dire :« C’est vous qui m’avez induit en erreur ! »

Mais là, j’ai pris ma décision après mûre réflexion. Bien que ce soit sous la pression de leurs persécutions, à qui incombe la faute ? A moi. Je suis fautive parce que je n’ai pas su m’imposer, je n’ai pas su faire le bon choix et aujourd’hui je n’arrive pas à prendre la résolution de quitter cet enfer luxueux et connaître l’échec du divorce et la stigmatisation qui s’en suit. Alors je reste. Je me dis que je finirai par mieux le connaître. Je finirai par savoir ce qu’il n’aime pas, afin de ne pas le mettre en colère. A ce moment-là je serai pleinement heureuse, comme toutes les femmes qui rêvent d’un mari doux et riche.
Seulement je me demande, combien de temps s’écouleront jusque-là. Serais-je toujours en vie ?

Et j’envie la liberté des oiseaux qui volent au gré du vent juste sous la fenêtre de ma chambre dans laquelle il m’a enfermée à double tour pour ne pas que je m’enfuies. De ma cage dorée, je les envie. J’envie leur simplicité, leur liberté.

2 commentaires:

  1. huuummm de toutes, c'est sûrement l'histoire qui me plaît le plus (mon côté féministe qui parle). vrmt c'est dur la vie d'une femme!! "non ma fille, l'ecole c'est ton mari après maintenant mais toi aussi, tu n'es pas encore mariée?? tu attends quoi?" voilà où tout ça nous mène!! femmes battues, abandon de carrières prometteuses, mariages bancaux.... aaahh la vie d'une femme *long soupir de désespoir*
    Well done Yehni!!!

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  2. tiens! tiens!! tiens!!! voici un bien bel écrit. un portrait de femme battue pas mal. et je pense que tu aurais pu le rendre encore plus profond en accentuant les descriptions et en allant chercher plus loin dans l'histoire de la femme...
    j'aime bien en tous cas

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